mercredi 29 octobre 2008

En revenant de chez le brocheur...

Ce matin, de retour de chez le brocheur: le papier de la couverture ne sèchera pas, il est difficile à couper, le tracé (pré-tracé) par un sous-traitant ne correspond pas à la largeur du dos, la coupe est imprécise, les livres doivent être livrés dans l'après-midi, la chaine de fabrication ne peut s'interrompre...

Récemment, je relisais encore un article d'Anne Moeglin-Lacroix qui insistait sur le fait que les livres d'artistes initiés dans les années 60 avaient été créées dans le soucis de maitriser entièrement la chaine de fabrication du livre, de sa conception à sa réalisation. D'où cette préférence de l'artiste à se tourner vers des techniques de réalisation accessibles et contrôlables — comme la photocopie et l'offset—, ainsi que l'adoption de reliures simples nécessitant le moins d'intervenants possible. On imagine qu'à cette époque Ed Rusha rencontrait son imprimeur, buvait avec lui une tasse de café tout en échangeant quelques banalités, voyait des exemples de réalisations, actionnait la machine, interrompait la production à l'envie, mettait les mains dans le cambouis...
Aujourd'hui, plus question en tant que concepteur d'intervenir dans les choix, le soin apporté, les accidents de parcours: le processus de fabrication, celui que nous connaissons, n'est plus un outil que l'on peut tenter de manier. Le livre s'inscrit essentiellement dans une chaine de production où amour du livre, savoir-faire et conseil tendent à disparaitre au profit d'un modèle économique qui dicte sa loi: produire, quoi que ce soit, pourvu que cela soit rentable. Le livre se voit ainsi réduit à la stricte définition de produit comme la bouteille de coca-cola ou la paire de baskets, ramené au rang des objets de consommation.

Ce n'est pourtant pas comme ça qu'une partie des éditeurs, des auteurs et des graphistes, entendent construire le livre. Et pour cela, cela ils devront trouver des alternatives, des nouveaux outils, comme les artistes des années 60 qui tentèrent d'échapper à l'industrialisation des savoirs. La dimension cachée du livre se trouve dans le soin, la bienveillance, la patience qu'on lui accorde lors de sa création. Sa valeur se retrouve également dans le choix du papier qu'on lui aura assigné, les presses bien encrées qui l'auront imprimé, le séchage bien ventilé, la couture et la coupe précises, la reliure solide, l'ouverture généreuse. Son poids, son odeur, sa facture, seront encore autant de signes d'authenticité - authenticité uniquement accordée au manuscrit encore bien longtemps après son heure de reproductibilité technique - tant que le livre nouveau n'aura pas redéfinit ses formes et ses qualités d'existence. Sa saveur sera à l'égal des nouvelles pratiques, des nouveaux métiers et des nouveaux savoir-faire, mais également des nouveaux engagements, des nouvelles conditions de partage des savoirs et des nouvelles temporalités de conception et de production.

1 commentaire:

lamarque a dit…

Tu exposes le problème mieux que je ne saurais le faire. Une question que je me pose toujours c'est si la réflexion reste isolée ou si le travail intellectuel produit par tel ou tel séminaire a été publié.